Comme nous nous en doutions, les débats précédant la votation du 22 septembre sur la biodiversité sont aussi vifs que vides de vrais débats. Sur les plateaux, initiant·es et opposant·es tirent de leur chapeau toute une panoplie de lapins blancs, de pourcentages et de chiffres qui peuvent autant être issus d’études sérieuses que du loto du dimanche.

En plus de mettre à disposition de toutes les fermes (gratuitement, souvent avec le concours des chambres d’agriculture qui organisent les points de retrait) ses banderoles garnies de messages alarmistes, l’Union Suisse des Paysans (USP) n’a pas hésité à commander puis diffuser, une étude « scientifique » affirmant qu’il n’y a pas de « crise de la biodiversité en Suisse ».

Plus précisément, et pour citer l’hebdomadaire humoristique romand Vigousse, qui s’avère parfois être une source d’information plus exhaustive que certains groupes de presse : « En résumé, qu’il n’y a pas de crise de la biodiversité aujourd’hui en Suisse. Que si la perte massive d’espèces est avérée jusqu’à la fin du XXe siècle, tout va mieux depuis une vingtaine d’années. » (Vigousse, no 631, 30 août 24). Argument également repris par notre ministre de l’environnement, Albert Rösti, bien connu pour son impartialité en la matière. Rappelons que le chef du DETEC a déjà été pointé du doigt ce printemps par le magazine alémanique en ligne Republik, qui démontrait que ses services avaient escamoté de nombreux chiffres et une bonne partie de la réalité dans le rapport 2023 de l’OFEV sur l’état de la biodiversité en Suisse. Entre citer cette brève de printemps vite oubliée et affirmer que l’ex-président d’un lobby pétrolier préparait le terrain pour les votations de septembre, il n’y a qu’un pas, que nous laissons à d’autres le plaisir de franchir. Dans tous les cas, nous aussi, nous préférerions voir « l’USP se battre pour des prix équitables et contre les marges de la grande distribution».

Aujourd’hui, l’étude commanditée par l’USP, montre qu’il n’est plus guère besoin de tourner nos regards outre-Atlantique pour trouver l’intox et les arguments fallacieux qui pimentent si joyeusement le débat politique, et que le monde agricole n’échappe pas à la règle. Reprenons ici les termes d’un ingénieur agronome retraité, parus dans un excellent article d’opinion publié dans Le Temps le 27 août. « La voie sur laquelle s’est engagée la plus importante organisation agricole de Suisse est consternante, dangereuse pour notre démocratie et délétère pour la paysannerie. La propagation de tels écrans de fumée s’apparente de manière très préoccupante à ce qui s’est passé pour dissimuler le réchauffement climatique. »

Pour Uniterre, tout cet enfumage s’inscrit dans un contexte de rapport de forces entre une droite libérale qui a toutes les cartes en main pour avancer son agenda de dérégulation et une société civile de plus en plus pressurisée. L’alliance entre l’Union Suisse des Paysans avec Économie Suisse, l’Union patronale et l’Union Suisse des Arts et métiers (USAM) au sein de Perspective Suisse, semble porter ses fruits.

Sur le devant de la scène, comme lors de chaque débat qui précède la majorité des initiatives dites « agricoles » (bien qu’elles ne soient quasiment jamais issues du monde agricole) on assiste à la sempiternelle scène de bataille entre écologistes et agriculteur·rices. Celle-ci est jouée à la perfection par des initiant·es et des opposant·es rompu·es à l’exercice du théâtre médiatique et atteindra une fois encore une cible pourtant décriée par les deux camps : une exacerbation de la polarisation.

Pour Uniterre deux choses sont très claires. D’abord, au niveau du fond du débat, l’initiative ratait déjà complètement sa cible. Une méthode qui n’a pas fonctionné jusqu’à présent ne va pas par miracle fonctionner parce qu’on en ferait « un peu plus ». Les objectifs de conservation prônés par les partisan·es de l’écologie libérale sont un leurre justement parce qu’ils sont conservateurs. Comme nous le disions déjà dans notre prise de position sur l’initiative « au lieu de techniques et structures agronomiques simples (low-tech) et riches en main-d’œuvre qui cultivent la biodiversité, on cherche à créer des réserves et à compenser les effets négatifs de cette poursuite de productivité aveugle. Ces surfaces agricoles de réserve et de compensation sont avec 19,3% de la SAU déjà considérables aujourd’hui, mais manquent leur objectif. » Et, au niveau de la forme prise par le débat, tant que les « méchants paysans pollueurs » ne regarderont que les épouvantails brandis par l’USP et « les ignares bobos écolos » l’arbre protégé qui cache la jungle libérale, la biodiversité continuera de s’effondrer. Et notre capacité à nous sustenter avec.

C’est bien le système alimentaire qu’il s’agit de changer, pas les méthodes de préservation de la biodiversité.

 

Ci-dessous quelques sources, infos et rappels supplémentaires, judicieusement assemblés par nos allié·es du MACP :

 

1. Le texte de l’Initiative « Pour l’avenir de notre nature et de notre paysage » dite Biodiversité :

  • L’initiative est générale et n’inclut pas de mesures punitives pour les agriculteurs, contrairement à l’initiative « Eau propre ».
  • Elle appelle à renforcer les dispositifs existants et à augmenter les contraintes aux niveaux de la Confédération, des cantons, et des communes, sans fixer d’objectifs chiffrés.
  • Elle mentionne la nécessité de ressources supplémentaires, avec le Conseil fédéral estimant un coût additionnel de 400 millions CHF.
  • La protection de la biodiversité est demandée sans cibler explicitement l’agriculture.

L’initiative sur la biodiversité est-elle essentielle pour protéger la nature ou trop extrême? RTS info

Les Suisses votent le 22 septembre sur l’initiative sur la biodiversité, qui exige de préserver plus d’espaces pour la nature et de lui consacrer davantage de moyens. Ce projet de modification constitutionnelle est combattu par une large alliance, qui considère que le texte est inutile.

Comment va la biodiversité suisse, pour de vrai ? Le Temps

L’état et l’évolution de la biodiversité sont insatisfaisants voire mauvais, si on en croit une série d’indicateurs suivis régulièrement pour différentes périodes. Si ces données sont cruciales, leur interprétation n’est pas toujours simple. Plongée dans les chiffres.

2. Porteurs de l’Initiative :

  • L’initiative est soutenue par sept organisations de défense de la nature (Pro Natura, Patrimoine Suisse, BirdLife, etc.) et des partis politiques tels que Les Verts, le Parti Socialiste (PS) et les Vert’libéraux.

3. Opposants à l’Initiative :

  • Gouvernement et Parlement : Recommandent le rejet de l’initiative, soutenus par une large coalition de droite (UDC, PLR, Le Centre) ainsi que par certains milieux agricoles et économiques.
  • Milieux Agricoles (USP) : Utilisent un argumentaire alarmiste sur la confiscation de terres et s’appuient sur des positions pseudo-scientifiques pour alimenter la peur.
  • Critiques sur les arguments des opposants : Nombre de leurs arguments sont fallacieux (ex. la confiscation de 30% du territoire), et leur position est en contradiction avec les conclusions du rapport de l’OFEV (2021).

La droite met tout son poids dans la campagne contre l’initiative sur la biodiversité. Le Temps.

Les opposants au texte soumis au vote le 22 septembre déploient de gros moyens pour lutter contre des mesures qu’ils jugent nuisibles au pays

La biodiversité en crise ? Le Courrier.

La fronde des chercheurs ne faiblit pas. Les milieux scientifiques montent aux barricades contre le rapport commandé par l’Union suisse des paysans, qu’ils jugent mensonger.

Controverse sur la biodiversité. Le Courrier

Un rapport de l’Union suisse des paysans doute de la disparition des espèces.

Initiative biodiversité: l’extrémisme n’est pas du côté que l’on croit. Heidi.News

La Suisse s’apprête à voter sur initiative biodiversité le 22 septembre 2024. Et pourtant, aussi bien les initiants que leurs opposants sont d’accord sur le fait que cette crise est grave. Là où ils divergent, c’est sur les moyens de la contrer. Les premiers veulent en faire une question constitutionnelle afin qu’elle soit mieux prise en compte. Les seconds affirment qu’on en fait déjà bien assez. C’est à partir de là que les choses dérapent dans la mauvaise foi. 

4. Question des finances :

  • La Confédération investit chaque année quelque 600 millions de francs dans la conservation de la diversité des espèces. 
  • La Stratégie Biodiversité Suisse (SBS) phase 2, mise en œuvre depuis 2019, dispose d’un budget de 80 M annuel, somme jugée insuffisante par les organisations de protection de la nature qui souhaiterait la voir doublée. Pas encore de recul suffisant pour estimer l’efficacité.
  • 425 M c’est la part des paiements directs (PD, soit les subventions de la confédération aux agriculteurixes) destinés aux Surfaces de Promotion de la Biodiversité (SPB) (15,3% des 2,8MM de PD = 19% Surface Agricole Utile =7% du territoire).
  • Plan financier de la Confédération 2025-2028 = diminution de 276 M consacrés à la biodiversité sur 5 ans