Ce printemps, le GT politique de la coalition terre a eu l’immense chance de collaborer avec le magazine d’écologie politique Moins ! (achetezmoins.ch) qui nous a offert l’espace du dossier spécial de son 70e numéro. Celui-ci est paru début mai et est disponible dans toutes les bonnes crémeries et tofuteries alternatives, vous pouvez aussi le commander sur notre site. Intitulé « Rendre la clef des champs : les communs agricoles » ce dossier spécial compte 12 pages écrites par nos soins ou par des paysan·nes, chercheur·euses ou militant·es proches de nous, dont Somhack Limphakdy, Yvan Droz, Julien-François Gerber ou Jojo de Semences de pays.

Nous reproduisons ci-dessous notre introduction à ce dossier, et vous encourageons vivement à vous procurer l’entier du magazine, et à vous abonner à Moins ! Que l’on remercie chaleureusement au passage.

Une autre tâche de ce printemps a été l’étude et la traduction du « Manifeste pour un bail orienté vers le bien commun » de nos collègues d’AbL, en Allemagne. Celui-ci pose notamment des critères pour l’attribution des terres agricoles publiques et nous en mettons ici la traduction à disposition. La prochaine étape pour le GT Veille terre est de s’en inspirer pour faire des propositions aux communes romandes encore propriétaire de parcelles agricoles.

 

 

Communs : nerfs de révolution agricole

 

Bien avant le mouvement contestataire de l’hiver dernier, c’est également le cadre législatif extrêmement restrictif en matière d’accès à la terre qui inquiète et péjore depuis des années les militant·es et paysan·nes – parfois sans-terre – de l’organisation paysanne Uniterre. Après avoir publié une brochure intitulée La terre à celleux qui la cultivent1, sa commission jeunes a muté en une plus large Coalition terre qui s’est vue offrir par la rédaction de Moins! l’opportunité de rédiger ce dossier. Nous avons décidé d’en profiter pour affiner notre pensée politique et approfondir nos connaissances, en particulier historiques, en nous penchant sur la question des communs agricoles. L’idée de commun constitue en effet l’un des piliers fondamentaux de l’agriculture paysanne que nous défendons et dessine une réelle rupture face au monde qui nous entoure.

 

L’agriculture, en tant que secteur de production de la nourriture – c’est-à-dire des biens les plus fondamentaux – n’échappe ni aux immenses pressions du capitalisme, ni à son impératif de croissance infinie. Pour les agriculteur·rices, les coûts de production sont de plus en plus élevés, tandis que les revenus baissent inexorablement et que les subventions qui les maintiennent sous per- fusion sont conditionnées à des exigences technocratiques et administratives de plus en plus nombreuses, chimériques et contrôlées. Ce contexte est à l’origine d’une vague européenne de grogne agricole qu’on a eu tôt fait de qualifier de révolte et qui semble au final devoir surtout enfoncer l’agriculture encore plus profondément dans l’impasse systémique où elle se trouvait déjà (voir article p.12-13), et avec elle l’ensemble de la société. Si, en Suisse, certaines revendications d’ordre économique ont été portées par ce mouvement, elles restaient superficielles et les réponses apportées par l’État s’avèrent largement insuffisantes. L’agro-industrie, les gros propriétaires terriens et les syndicats majo- ritaires, fortement liés aux classes dirigeantes, en ont par contre profité pour faire avancer leurs agendas, grâce à énième instrumentalisation de la colère paysanne, notamment en mettant caricaturalement dos à dos agris et écolos.

En Suisse, bien avant ce mouvement contestataire, c’est aussi un cadre législatif extrêmement restrictif en matière d’accès à la terre qui inquiète et péjore depuis des années les militant·es et paysan·nes, parfois sans-terre, de l’organisation paysanne Uniterre. Après avoir publié une brochure intitulée La terre à celleux qui la cultivent, sa commission jeunes a muté en une plus large «coalition terre» qui s’est vue offrir par la rédaction Moins! l’opportunité de rédiger ce dossier. Ce faisant, nous en profitons pour affiner notre pensée politique et approfondir nos connaissances, en particulier historiques, en nous penchant sur la question des communs agricoles. L’idée de commun constitue en effet l’un des piliers fondamentaux de l’agriculture paysanne que nous défendons, et qui dessine une réelle rupture face au monde qui nous entoure.

Un passé fécond pas si lointain

Rappelons qu’avant de se résumer à son seul visage familial, à tendance entrepreneuriale, l’agriculture suisse était également basée sur une intendance commune de biens appartenant à toute la communauté et gérés par celle-ci. De nombreuses déclinaisons ont existé, dont certaines perdurent encore sur le terrain et dans notre corpus légal. Les pâturages communaux, dit Allmend en allemand (article p.14), les consortages valaisans de bisses, d’alpages ou de forêts, ou encore le dualisme communal (commune politique et commune bourgeoisiale) émanent de cette agriculture historique des communs. Ce modèle, qui subsiste dans les marges, a été presque totalement démantelé ces 150 dernières années par l’État au profit du pouvoir législatif et exécutif (la Commune politique, les Cantons et la Confédération), de la propriété privée et de l’économie de marché (article p.16). Avant d’être remplacé par l’aberrant modèle de l’agriculture industrielle – qui met en concurrence chaque «exploitant·e» et brise les solidarités internationales – le régime des communs constituait la base de subsistance de la grande majorité de la population, en particulier de celleux n’ayant pas le privilège de l’accès à la propriété foncière, et ce pendant des siècles.

 

Vers des alternatives paysannes

Par ailleurs, nos réseaux et expérimentations paysannes actuelles, quoique incomplètes et précaires, ne sont pas dépourvues de cet héritage des communs : partage et réappropriation de semences paysannes (article p.18), de savoirs et de connaissances (voir aussi les Alternatives collectives p.24-25), mais aussi modèles d’agriculture contractuelle (type paniers), locations collectives, occupations des terres, démocratie alimentaire (article p.20), etc. Toutes tendent vers ce système alimen- taire paysan constituant du tout qu’est la vie et sa reproduction. Raviver les héritages des communs, s’inspirer de ceux qui existent au sein des agricultures du monde, et en recréer des versions contemporaines pourraient bien constituer une des bases de réponses radicales aux impasses sociales, écologiques et poli- tiques du modèle sociétal dominant.