« Comment faites-vous dans un monde essentiellement masculin? ». Etant active depuis 20 ans dans la défense professionnelle, la vulgarisation agricole puis l’administration cantonale, c’est la question qui m’est régulièrement posée. L’enjeu est dans le positionnement et la place que les femmes s’autorisent à prendre pour être traitées d’égale à égal. Ne pas jouer le jeu des hommes qui occupent l’espace en parlant trop longuement pour exprimer un point de vue qui peut être verbalisé en quelques phrases. Être synthétique et percutante dans les propositions et écouter et tenir compte de celles des autres; ce sont souvent les qualités qui caractérisent les femmes et qu’il faut mettre en avant. Faire sa place, c’est aussi, il faut l’admettre, ne pas laisser passer certains propos ou attitudes et renvoyer la balle de manière ferme. Les règles sont ainsi posées.

Les paysannes, au profit du changement générationnel, sont de plus en plus nombreuses à la tête des fermes, même si elles sont aujourd’hui encore largement minoritaires. Cela ne doit pas les empêcher de s’investir dans les comités associatifs ou dans les commissions agricoles mises en place par les cantons ou la Confédération. Le Grand Conseil genevois a d’ailleurs récemment adopté une loi qui impose, dès 2024, la présence d’au moins 40% du genre le moins représenté dans une commission. En tant que femmes, nous apportons souvent un regard différent sur les enjeux agricoles: une écoute plus attentive des attentes de la population, une préoccupation particulière quant aux besoins de la nouvelle génération de paysannes et de paysans et sur le partage des responsabilités au sein du couple, une sensibilité environnementale plus élevée. Et la diversité des points de vue contribue à la richesse des débats, en particulier dans un milieu professionnel encore souvent caractérisé par un schéma familial et entrepreneurial traditionnel.

Si les femmes sont aujourd’hui nombreuses dans l’administration, elles restent encore minoritaires dans le cercle des cadres supérieurs. Une meilleure représentativité ne peut passer que par le « droit » à un temps partiel, même pour des postes à haute responsabilité. Cela ne pourra être que bénéfique aux femmes, mais aussi aux hommes, afin de mieux concilier vie professionnelle et vie privée. En effet, les journées sont longues et intenses et ce n’est réalisable que si le conjoint s’implique fortement dans les tâches familiales. Il n’en reste pas moins que la charge mentale demeure: « ai-je inscrit les enfants aux camps de vacances, pris rendez-vous chez le pédiatre, les devoirs sont-ils finis, ai-je consacré suffisamment de temps de qualité à ma famille, à mon conjoint, à mes enfants, à mes parents… et à moi? ». Assurément, le défi actuel est de pouvoir se réaliser sur les plans personnel, familial et professionnel dans un équilibre à trouver, voire à revendiquer.

Mais aucune hésitation, occupons l’espace, il ne nous sera pas donné spontanément.

Valentina Hemmeler Maïga