« Nous n’avons pas de mission éducative. Nous considérons les consommatrices et consommateurs comme étant responsables et qu’ils-elles décident de ce qu’ils-elles achètent [1]. Nous vendons ce qui est demandé [2]. »
C’est ainsi que la direction de Migros justifie sa récente décision d’abandonner son objectif consistant à garantir les mêmes normes minimales en matière de bien-être animal pour la viande importée que pour la viande suisse [3].
Une déclaration cynique et facile : d’un côté, Migros n’hésite pas, à renfort de coûteuses opérations de communication et marketing, à se dépeindre comme un modèle en termes de bien-être animal, de durabilité et de prix équitables pour le monde agricole, clamant que cet engagement est « dans son ADN » … De l’autre : « on vend ce qu’on nous demande », c’est-à-dire notamment de la viande bon marché produite dans des conditions interdites en Suisse (mais rassurez-vous, c’est précisé sur l’emballage!*), face à laquelle les paysan·ne·s suisses ne peuvent pas rivaliser… « Parce que c’est ce que la clientèle demande ! »
Pour rappel, Migros avait annoncé en octobre 2024 une baisse de prix sur 1000 articles de la consommation courante, dans le but de s’aligner avec les prix des discounters. Une opération qui concerne non seulement les fruits et légumes, mais également la viande.
Certaines voix parmi les producteur·trice·s ont exprimé leur circonspection : qui va payer pour cette baisse des prix ? Se fera-t-elle à leur détriment ? [4] Migros a assuré que non : elle ne serait rendue possible que grâce à des gains d’efficacité, à la vente de certaines de ses filiales non alimentaires, et …en « acceptant sciemment que le bénéfice du groupe recule» [5]. Uniterre s’était alors montrée sceptique quant à cette promesse et demandait à voir…
Or le fait que Migros renonce à son objectif d’appliquer aux produits carnés en provenance de l’étranger les standards suisses relatifs au bien-être des animaux envoie un très mauvais signal. Cela laisse à penser que l’abaissement des exigences de qualité et de durabilité pour les produits importés pourrait bien être l’un des leviers de sa stratégie de prix bas.
Au-delà des inquiétudes légitimes que suscite cette décision par rapport au bien-être animal – exprimées notamment à travers une lettre ouverte à Migros émanant d’organisations actives dans le domaine –, se pose bien sûr la question de la pression exercée sur les producteur·trice·s locaux. Certes, pour l’instant, la part de viande importée reste limitée. Mais combien de temps avant que cette brèche ne s’élargisse et n’ouvre la voie à davantage d’importations à bas coûts, accentuant la pression sur la production locale, au mépris des normes écologiques et sociales ? Car en dépit des promesses de Migros, la pression semble déjà se faire sentir, notamment dans la filière porcine, avec la décision soudaine de l’enseigne de réduire les achats de viande labellisée, plongeant les éleveur·euse·s dans l’incertitude [6].
Uniterre restera vigilante face aux prochains développements de cette guerre des prix que se livrent les géants orange. En particulier dans un contexte où règne l’opacité en matière de formation des prix et des marges et où les détaillants tiennent le couteau par le manche dans les négociations avec les producteur·trice·s. En ce sens, l‘observatoire des prix dans les filières de l’agroalimentaire, actuellement débattu au Parlement fédéral, est un outil indispensable pour garantir une réelle transparence et rééquilibrer les rapports de forces, totalement asymétriques à l’heure actuelle.
* M-Check : l’hypocrisie en toute transparence
Interrogée sur les conditions d’élevage des animaux à l’étranger et dont la viande est ensuite vendue sur ses étals, Migros renvoie à son label « M-Check »[7], qui attribue des notes aux produits d’un point de vue du bien-être animal, de l’impact carbone et de la quantité d’emballage. Ainsi, la clientèle peut « choisir » en toute connaissance de cause et en toute « transparence » d’acheter de la viande importée bon marché, issue de conditions de production déplorables par rapport aux standards suisses. Par exemple : le poulet du Brésil ou l’agneau de Nouvelle-Zélande, « pouvant avoir été produit avec des stimulateurs de performance non hormonaux, tels que les antibiotiques »,[8] une pratique interdite en Suisse depuis 1999 [9]. Mais pas de problème, car Migros est transparente et les client·e·s sont responsables ! A croire que les images idylliques dont elle sature sa clientèle, où les poules sont heureuses, les paysan·ne·s souriant-e-s et la campagne suisse chatoyante, servent uniquement à décorer. Si la publicité influençait les gens, ça se saurait ! Une fois de plus, Migros se défausse sur les consommateur·trice·s au nom de la responsabilité individuelle, tout en habillant son hypocrisie dans une communication bien rodée.
Camille Chappuis
[1] Bauern Zeitung. Interview de Mario Irminger, CEO de Migros. 30 janvier 2025
[2] SRF. Interview de Mario Irminger, CEO de Migros. 2 novembre 2024.
[3] Migros. Rapport – approvisionnement durable. 2014
[4] Tribune de Genève. « Baisse de prix chez Migros: les producteurs « circonspects »». 31 octobre 2024.
[5] Migros. Communiqué de presse. 28 octobre 2024
[6] Blick. « Migros abandonne les éleveurs de porc IP en achetant moins de viande ». 16 mars 2024. Voir aussi: Bon à savoir. « Paysans bio sous pression de Migros ».15 janvier 2025
[7] 20 Minuten. «Migros senkt Tierwohl-Standards – Tierschützer empört.» 27 janvier 2025
[8] https://www.migros.ch/fr/product/220860010892
[9] https://viandesuisse.ch/pourquoi-de-la-viande-suisse/antibiotiques-et-viande-suisse-les-faits