Article paru dans Le Paysan Indépendant, le journal d’Uniterre, en février 2023

Quelle mouche a donc piqué l’Union Suisse des Paysans (USP) à faire une campagne politique commune avec Economiesuisse et l’Union suisse des arts et métiers (USAM) ? Les deux associations et leurs représentants politiques sont les auteurs de la dérégulation libérale, qui favorise des importations massives et le démantèlement progressif de la protection douanière. C’est sur le terreau idéologique de la compétitivité sans limite cultivée par Economiesuisse que s’est construite la politique agricole de ses dernières décennies avec son leitmotiv d’évolution structurelle nécessaire. Une constante érosion et pression sur les prix sont dès lors les meilleures armes pour chasser les paysan·es et pour remplir les caisses de l’industrie de transformation et de la grande distribution. Comment une faîtière agricole peut-elle soutenir et applaudir un tel massacre ? L’USP aurait-elle oublié que deux à trois fermes sont obligées de fermer leur porte tous les jours en Suisse ? Qu’en vingt ans 50’000 emplois et 20’000 fermes ont disparu ?

Faut-il rappeler qu’avec ces nouvelles politiques agricoles libérales, les prix des principales cultures ont été divisés par deux en vingt ans et qu’on a introduit des paiements directs découplés de la production en séparant l’acte de la production de la gestion des ressources, du paysage et de l’environnement ? C’est l’agriculture paysanne diversifiée, riche en main d’œuvre et ancrée dans les ressources localement disponibles qui a façonné les paysages et la biodiversité naturelle et cultivée. Nul programme artificiel de préservation de la biodiversité ou de réduction des pertes en éléments fertilisants avec des machines toujours plus lourdes, tel que le fameux pendillard, ne saurait réparer les dégâts causés par une évolution structurelle qui favorise la spécialisation, la mécanisation, les économies d’échelle au détriment de l’agriculture paysanne.

C’est aussi l’agriculture paysanne, avec un nombre d’actifs qui devrait au moins doubler, qui seule sera à même de garantir la sécurité et une souveraineté alimentaire : tout le contraire de la politique libérale actuelle. Mais sans une revalorisation très significative de la nourriture et de la production paysanne, toute transition vers un système alimentaire plus durable reste complètement illusoire. Dans ce sens, une agriculture de pointe dépendante de technologies énergivores met à mal l’autonomie paysanne et est une nouvelle impasse au service des mêmes mécanismes qui dévalorisent la production paysanne en la livrant à un marché découplé des intérêts vitaux des populations.

Uniterre attend une alliance politique qui défend des conditions cadres économiques qui permettent aux paysan·nes de négocier et de réaliser des prix rémunérateurs, couvrant les coûts de production. Tant dans la durée du travail que dans son niveau, le travail paysan doit être reconnu et valorisé comme un revenu ou salaire moyen en Suisse.

Or, dans l’alliance de l’USP avec les milieux économiques et bourgeois, il n’y a rien de tout cela. Pour terminer et illustrer ce propos, nous vous proposons quelques citations tirées du site d’Economiesuisse (https://economiesuisse.ch/fr/tags/agriculture) : 

« Economiesuisse salue l’orientation générale de la PA22+. Cela dit, les mesures proposées manquent d’ambition. Elles ne produiront guère d’effet, que ce soit du côté du système de soutien actuel ou de celui des protections aux frontières, par ailleurs inefficaces. Economiesuisse préconise d’introduire une orientation sur le marché rigoureuse et de renforcer la compétitivité du secteur. »

« Le marché du fromage, qui est entièrement libéralisé entre la Suisse et l’UE depuis 2007, est un exemple d’ouverture des frontières couronné de succès pour notre pays. »   « La libéralisation a de toute évidence aussi amené un assainissement structurel… les producteurs sont également gagnants puisqu’ils peuvent exporter leur fromage à des prix élevés et sont ainsi devenus plus compétitifs. »

«  Le marché du vin, libéralisé en Suisse depuis 2001, montre également que l’ouverture d’un marché apporte des améliorations sensibles en termes de qualité et se révèle très profitable pour les producteurs. » !

« Cela dit, le cloisonnement du marché agricole suisse est une impasse pour tous les acteurs concernés : agriculteur·rices, industrie agroalimentaire, entreprises exportatrices et consommateur·rices. Une ouverture ordonnée du marché offrirait une chance, non seulement aux entreprises exportatrices mais également aux agriculteur·rices, d’améliorer leur positionnement sur marché, leur compétitivité et leur capacité d’innovation. Les marchés du fromage et du vin en sont la preuve. Le protectionnisme entrave, au contraire, les changements structurels nécessaires. » !

Nous vous laissons donc apprécier ce résumé du programme de destruction de l’agriculture suisse préconisé par Economiesuisse, devenu allié douteux de l’organisation faîtière de l’agriculture suisse.. !!

Rudi Berli, secrétaire syndical