Nous – paysan.ne.s européen.ne.s de l’European Milk Board, d’ECVC, de l’APLI et de la Confédération paysanne ainsi que OXFAM (France et België/Belgique), SOS FAIM et le Comité Français pour la Solidarité Internationale (CFSI) – émettons un avis d’alerte précoce concernant le secteur laitier de l’UE et appelons la Commission européenne à bien observer le marché laitier et le soulager par le biais de la réduction volontaire des volumes en cas de besoin. En raison d’une baisse de la demande et d’une augmentation des volumes, une crise de surproduction pourrait frapper d’ici peu le secteur laitier de plein fouet sans l’activation de cet instrument de crise. Les répercussions d’une telle crise seraient très lourdes tant pour les paysan.ne.s de l’UE que pour leurs collègues dans les pays africains.
Au cours de l’année précédente, de fortes augmentations de coûts, mais aussi des prix au producteur à la hausse ont caractérisé la situation dans le secteur laitier. Cependant, cette situation exceptionnelle où les prix ont, par endroits, avoisiné les coûts de production, est révolue. Une hausse des volumes de lait ainsi qu’une baisse de la demande en raison de la situation inflationniste ont engendré des chutes de prix. Les surplus sur le marché ont enclenché une spirale descendante qui représente une situation menaçante et déstabilisatrice pour les paysan.ne.s dans l’UE, mais également pour leurs collègues africains.
Nous appelons la Direction générale de l’agriculture et du développement rural de la Commission européenne à :
• recueillir et analyser dans le détail les données sur le secteur en termes de baisse de la demande, hausse des volumes et évolution des prix au producteur ainsi que d’autres indicateurs de prix et coûts de production pour l’UE.
• après cette analyse, si la tendance reflète que le prix est inférieur aux coûts de production, activer le programme de réduction volontaire des volumes, instrument important ancré dans l’Organisation commune des marchés (OCM) et à disposition de l’UE dans sa boîte à outils.
Si une nouvelle crise n’est pas évitée, les disparitions de fermes atteindront un niveau record. Notre structure de production et par conséquent notre sécurité alimentaire sont déjà très instables. Nous ne pouvons pas nous permettre davantage de pertes dans l’UE. Les excédents de l’UE détruisent les marchés locaux de nos homologues africains par le biais d’exportations sous forme de dumping et menacent ainsi la production locale.
Le programme de réduction volontaire des volumes a déjà fait ses preuves par le passé. Toutefois, il est primordial de l’activer à temps. La fragilité du marché laitier et la fréquence de lourdes crises dans le secteur ne sont pas une nouveauté.
Afin d’éviter des crises et situations problématiques à l’avenir, un mécanisme qui active automatiquement des mesures telles que le programme de réduction volontaire des volumes en cas d’évolutions négatives sur le marché devrait être mis sur pied. Une activation retardée en raison de blocages et discussions politiques fastidieuses, qui, par ailleurs, ont de lourdes répercussions sur les producteur.trice.s ainsi que la sécurité alimentaire peut ainsi être évitée et le marché à nouveau équilibré.
Les organisations signataires insistent sur l’importance d’éviter à tout prix une nouvelle crise du lait. Il est en effet fondamental d’attirer la jeune génération vers le métier. Il est dès lors tout à fait inapproprié de laisser le marché dicter sa loi et ainsi évincer les plus faibles économiquement, dont ceux qui viennent de reprendre des fermes récemment. Chaque crise a un effet de « restructuration » avec élimination de producteurs. Or, c’est tout le contraire que toute politique laitière doit faire. Elle doit permettre d’assurer sur le long terme un revenu digne aux éleveurs.
Des réformes d’envergure sont donc indispensables. Pour ce faire, les éléments suivants sont nécessaires :
• Remettre sur la table une réelle régulation des volumes et des prix de la production laitière.
• La fixation du prix du lait doit être déconnectée du marché mondial, pour y être basée sur les 90 % des valorisations du marché interne d’abord.
• La Commission doit mettre en place des indicateurs précis qui enclencheraient l’Article 219 de l’OCM en cas de chute de revenu des producteurs.
• Les politiques laitières doivent valoriser les fermes à taille humaine qui sont d’office plus facilement transmissibles et durables. Nous devons nous écarter des modèles appartenant aux firmes ou aux banques, où les éleveurs ont perdu toute autonomie financière et décisionnelle.
• Nous devons absolument opérer une bifurcation de pratiques et de modèles vu les impératifs climatiques, de biodiversité, d’épuisement des ressources et autres enjeux. Il est indispensable de soutenir l’élevage paysan et la production laitière et de s’orienter vers de nombreuses fermes à taille humaine plus économes et autonomes, liées au pâturage. Face aux évènements imprévisibles qui sont devant nous et face à l’impératif de construire notre souveraineté alimentaire, nous avons le devoir de mettre en place des fermes en grand nombre où la robustesse de celles-ci doit être le maître-mot.
La Commission et toutes les instances européennes doivent envoyer des signaux positifs en indiquant des chemins où les producteurs sont partie prenante d’une société où la solidarité est plus importante que la compétition entre tous contre tous.
Nous prions la Commission européenne de nous informer rapidement de son approche à ce sujet et restons à disposition pour des entretiens.